Courtes thèses pour une organisation à dominante francionienne

C'est la sentience qui compte

Les êtres qui peuvent souffrir ont un intérêt à ne pas souffrir. La souffrance est un moyen pour la préservation de l'être, donc les êtres pouvant souffrir ont un intérêt à la poursuite de leurs vies, du moins dans la mesure où la souffrance n'est pas leur seul horizon. Ces êtres pouvant souffrir, ayant le double intérêt à ne pas souffrir et en général à continuer de vivre, sont des êtres que l'on dit sentients.

Implication minimale de la sentience

Les êtres sentients ayant intérêt à ne pas souffrir et à ne pas être tué, les autres êtres avec une agentivité et qui peuvent avoir conscience de cet intérêt, ce qui inclue la très vaste majorité des humains et les sociétés d'humains, ont le devoir moral de ne pas les faire souffrir, de ne pas les exploiter et de ne pas les faire exploiter, de ne pas les tuer et de ne pas les faire tuer, ce dans tous les aspects de la vie (alimentation, soin et apparence du corps, habillement, mobilier, transport, divertissement, etc.), mais dans la mesure du possible. L'exploitation et la mise à mort, quand elles sont volontaires et évitables en principe, peuvent donc être tolérées en certains cas. C'est par exemple acceptable quand c'est conjoncturellement nécessaire pour subvenir correctement à ses besoins alimentaires. Il en est de même des produits médicaux qui ne relèvent pas du simple confort et qui sont sans alternative végane, ce malgré qu'ils puissent notamment avoir été testés sur des animaux non-humains et/ou utiliser du lait dans le cas des gélules.

L'anti-espècisme

La discrimination en fonction de l'espècisme, dite espècisme ou spécisme par anglicisme et/ou norme sociale, n'est pas fondée en ce qui concerne l'irrespect des intérêts énoncés de tous êtres sentients. Faire une expérience non-volontairement consentie sur un être humain ou sur animal non-humain est donc tout autant moralement condamnable, y compris si cette expérience est à vocation médicale pour les humains et même s'il était avéré que faire souffrir et/ou tuer ou risquer de tuer un ou plusieurs êtres sentients non-humains pourrait permettre de sauver plus de vies humaines.

Impératif moral au véganisme

À partir des 2 thèses précédentes, découle un impératif moral, individuel et sociétal, au véganisme, Pour rappel, le véganisme comprend la clause autant que faire se peut. Mais attention : elle ne peut être invoquée qu'en des cas extrêmes, la tradiction, l'habitude, la commodité, le plaisir, l'intérêt pour l'espèce ou l'intérêt pour l'humain, ne sont entre autres pas des raisons valables. Par exemple, au niveau de l'alimentation, qui n'est qu'un aspect parmi d'autres de la vie, cela implique idéalement, c'est-à-dire dans la mesure du possible, le végétalisme (qui requière impérativement la complémentation en vitamine B12).

Abolition de la propriété

La protection authentique des intérêts des êtres sentients implique qu'ils doivent ne pas pouvoir être des propriétés. C'est une condition nécessaire, quoi qu'insuffisante. Il est en effet illusoire d'assurer du respect des intérêts d'êtres sentients par le bon soin des propriétaires et une institution judiciaire qui réprimerait sévèrement les mauvais propriétaires d'êtres sentients.

L'instrumentalisation est le problème

Le problème n'est pas la manière de faire souffrir, d'exploiter et/ou de tuer, mais le fait de faire souffrir, d'exploiter et/ou de tuer en l'absence d'une nécessité impérieuse et qui ne soit pas basée sur un critère pertinent qui ne peut être l'espèce. Il n'y a donc pas une bonne manière ou une manière compassionnelle de faire souffrir, d'exploiter ou de tuer un être sentient, à part si cela est de sa volonté libre et donc réellement non socialement contrainte.

Contre la stratégie bien-êtriste

Mettre en avant des manières spécifiques d'opprimer des êtres sentients laisse sous-entendre que ce sont ces manières qui poseraient problème, alors que c'est le fait d'en avoir et de pouvoir en avoir un usage purement ou quasi-exclusivement instrumental qui est le problème et c'est donc lui qui doit être mis en avant et dénoncé. Les mesures qui réduisent l'intensité de l'oppression et les campagnes qui tentent de les obtenir ne sont pas bonnes mais mauvaises, du moins en ce qui concerne les intérêts issus de la sentience et quand il est déjà possible de ne pas opprimer plutôt que moins opprimer. En effet, ces mesures et campagnes rendent plus à l'aise le public avec le fait de continuer à opprimer. De plus, elles ne font rien pour éradiquer la possibilité d'appropriation légale d'êtres sentients, en fait elles le légitiment en s'inscrivant dans son cadre au lieu de le combattre, alors qu'il est déjà possible de faire autrement (= ne plus oppresser, et non juste oppresser à moindre intensité), hormis certes à de rares exceptions près. Enfin, le matériel, le temps et l'énergie, qui sont utilisés pour ces mesures et campagnes ne le sont pas à autre chose et en l'occurrence pas à combattre pour en finir avec l'oppression et donc tendre ou tenter de tendre vers une société véganiste.

Contre la scission espèciste du problème

Mettre en avant un sous-ensemble des êtres sentients (comme les chiens et les chats) et laisser croire que leurs intérêts relatifs à la sentience est distinguable d'autres êtres sentients, cela n'est pas bon mais mauvais. En effet, cela est faux et induit le public en erreur. De plus, cela le rend plus à l'aise avec l'oppression des autres sentients. Et ça ne combat pas l'espècisme, mais au contraire le renforce, donc c'est contre-productif pour la généralisation du véganisme. Enfin, encore une fois comme avec le bien-êtrisme, les ressources employées dans ce genre de campagnes ne le sont pas pour combattre l'espècisme et promouvoir le véganisme.

Contre la scission du problème en terme d'usage

Mettre en avant une manière d'utiliser les êtres sentients, comme si elle était moralement distinguable des autres, pose problème, comme le bien-êtrisme (aussi dit welfarisme par anglicisme et/ou norme sociale) et la scission espèciste. À titre d'exemple, Kapparot, la pratique juive d'expiation avec une volaille qui est abattue, n'est pas pertinemment distinguable du fait de les exploiter et/ou tuer pour leurs plumes, leur chair ou leurs oeufs, à part authentique nécessité de survie bien sûr.

Progressivité de la véganisation

Le véganisme ne sera pas universel du jour au lendemain. Cela demande et demandera du temps, beaucoup de temps. La société progressera donc vers le véganisme et non qu'elle y passera d'un coup après un grand soir. Mais cet aspect progressif n'implique pas le besoin d'étapes formelles dans le droit qui ne feraient que réduire l'intensité de l'oppression et/ou que réduire les êtres sentients qui peuvent la subir. Il n'implique pas non plus qu'il n'y aura pas à la fin une rupture, qui sera la fin de la légalité de l'oppression et qui sera donc une contrainte légale et par suite qui pourra être légalement imposée par la force à celles et ceux qui voudraient continuer d'oppresser en l'absence de nécessité tel que nous l'avons précédemment défini. Toutefois, le plus gros de la progression se fera dans le cadre de la légalité de l'oppression. Il se fera par le refus, individuel et de plus en plus collectif, de participer à l'oppression, du moins dans la mesure du possible, c'est-à-dire par le passage d'une proportion grandissante de la population au véganisme et non juste au végétalisme ou toute autre troncature du véganisme.

Autres oppressions

La discrimination en fonction de l'espèce conduisant à de l'oppression, à différencier par exemple du traitement médical différencié qui peut être tout à fait pertinent, s'inscrit dans une toile plus large d'oppressions aux motifs différents. Le sexisme ou patriarcat et le racisme sont aussi injustes et donc à combattre. Plus généralement, les droits humains sont à défendre et cela n'inclut pas un droit à oppression d'un autre être sentient en l'absence de nécessité impérieuse. Et il peut tout à fait être jugé qu'il y a un ou plusieurs autres méta-systèmes d'oppression (que l'espècisme, le sexisme ou patriarcat et le racisme), comme le capitalisme, et aussi d'autres problèmes de moins grandes ampleurs mais qui peuvent être tout autant oppressant et potentiellement même plus pour les individus qui les subissent, comme le génocide des palestinien·ne·s par Israël, le validisme et la grossophobie.

Nécessité et insuffisance de l'abstinence

S'abstenir individuellement de participer à une oppression systémique, ou du moins tenter authentiquement, est une nécessité morale et pratique pour les opprimé·e·s et changer le monde. Cependant, ce n'est pas pour autant suffisant. Il faut, dans la mesure des moyens de chacun et chacune (en temps, en énergie, en argent et matériel, etc.), tâcher de combattre ces oppressions socialement. Cela en passe par la mobilisation individuelle.

Nécessité de l'organisation à grande échelle

La mobilisation individuelle tout seul ou d'une manière volontairement groupusculaire ou sectaire peut s'avérer utile, mais elle est insuffisante. Les thèses que nous venons d'énoncer ne sont pas les seules dans le monde social. Sur les mêmes sujets, d'autres thèses circulent ou pourraient circuler. Pour délivrer le message aux masses et les impressionner, mais aussi les enrôler, mutualiser efficacement le travail, ainsi que tenir et faire perdurer durablement les thèses, il faut s'organiser, formellement et viser à minima l'échelle nationale.

Refoulement des exploiteur·e·s dans le groupement

L'organisation hypothétique que nous théorisons présentement, ne doit regrouper, en accord logique avec les thèses que nous venons d'exposer, que des personnes qui sont déjà véganes, ou plus laxistement qui le sont au moins quasiment et dont les errements sont anecdotiques et rares (par exemple, lors de rares voyages, la non-vérification de la non-présence de vitamine D animale dans les céréales ou la non-vérification systématique qu'une boisson végétalienne n'a pas été filtrée avec un ou des produits animaux).

Autonomie matérielle

Pour rester fermement soudée à sa thèse abolitionniste, l'organisation ne doit pas dépendre des individus et organisations qui sont pour le moment ses adversaires, ce autant du point de vue financier, que du matériel que des infrastructures, à quelques rares exceptions prêtes très circonscrites (le papier, l'encre, l'impression, le réseau Internet si ça existe encore et qu'elle décide d'en faire usage, etc.). Cela implique de ne pas dépendre de l'État et des non-véganistes. Ne pas dépendre n'implique pas de forcément s'en passer totalement, mais que ça reste au plus anecdotique et qu'une forte contrainte (qui peut être un ensemble de sous-contraintes) empêche le passage ô combien dangereux du dépassement de l'anecdotique, et une réaction très vive et puissante et également structurellement corrective dans le cas où il y aurait eu franchissement net et significatif de cette ligne rouge.

Non-idolâtrie de Gary Francione

Enfin, quoi que fortement inspiré de la pensée de Gary Francione, l'organisation et ses membres ne doivent pas lui vouer un culte et peuvent avoir un ou des différents avec lui et en fait plus largement avec n'importe qui. D'ailleurs, le principe des présentes thèses de la nécessite d'une organisation et à fortiori qu'elle ait la volonté d'être grosse, mais sans que ça se fasse au détriment de ses principes et de sa stratégie abolitionniste (il ne s'agit pas d'être gros pour être gros, ce n'est qu'un moyen et qui ne doit pas faire oublier l'objectif et la stratégie pour y parvenir), ça n'est pas vraiment en phase avec de répétés déclarations de Gary Francione. En effet, de grosses organisations à prétention abolitionniste mais à stratégie bien-êtriste, qu'il catégorise comme étant néo-welfaristes, ont obtenu une hégémonie, ce qui semble l'avoir dégoûté des grosses organisations quand il s'agit de la défense des intérêts des êtres sentients, mais cela nous apparait comme une erreur, comme nous l'avons d'ailleurs exposé. Par ailleurs, nous n'avons là pas repris son attachement à la non-violence et la manière très large dont il l'envisage, laissant donc ici indéterminé le positionnement que pourrait avoir à ce sujet l'organisation qui respecterait les présentes thèses ou qui en aurait été inspirée avec plus ou moins de fidélité.

Pour finir

Si tant est qu'il ait été utile de le préciser, il est évidemment attendu que les thèses que nous venons d'énoncer ne restent pas lettre morte. Par conséquent, il est espéré qu'elles servent à fonder et maintenir droit une organisation nationale dans chaque pays, mais ça pourrait commençait même formellement à plus petite échelle et c'est fort probablement mieux de commencer pratiquement à échelle plus petite (et dont l'extension pourrait se faire via une fédération ou confédération nationale qui regrouperait des groupes locaux avec une assez grande autonomie sur le modèle par exemple de la Confédération Générale du Travail de France, avant de faire la même chose inter-nationalement), et avec chaque organisation qui répandrait le véganisme sous un prisme explicitement politique et sentienciste (et non sous le masque de l'écologie, qui peut être contradictoire avec l'anti-espècisme ; et encore moins au nom de la santé humaine, qui conduit de toute façon généralement à se borner à l'aspect alimentaire sous la forme du végétalisme et met par la au mieux au second plan les intérêts de tous les êtres sentients).