Pour l'autonomie de classe

Les élections européennes de 2024 en France ont été triomphantes pour le Rassemblement National (RN), nouveau nom de l'historique Front National (FN). Il a fait environ 30%, 2 fois plus que la seconde liste qui est celle du parti présidentiel qui est d'origine simplement bien capitaliste. À cela il faut ajouter les 5% de Reconquête, parti d'Éric Zemmour qui vient d'en virer Marion Maréchal-Le Pen. Ce qui est usuellement considéré comme l'extrême-droite, qui serait quasiement un unique bloc et donc à peu près sans tendance et surtout avec forcément une origine d'extrême-droite, a donc fait environ 35% des suffrages exprimés et a par conséquent écrasé le reste.

Suite à ça, le président Emmanuel Macron a annoncé dissoudre l'assemblée nationale. Des élections législatives vont donc avoir lieu. Le Rassemblement National (RN) pourrait bien y devenir majoritaire, même s'il ne faut pas s'emporter dans une généralisation hative de résultats aux européennes, où la sociologie des votant·e·s est différente de celle pour le national et qui peut avoir tendance à sur-représenter le vote oppositionnel de par le peu d'effets à l'échelle nationale par dissolution dans le magma des autres votes au sein de l'Union Européenne capitaliste.

Mais face à cette menace, ou ce qui est présenté comme tel, malgré le rapprochement net et explicite du parti présidentiel et de LR vis-à-vis des thèses du RN, il y a une forte volonté d'union de ce qui est communément appelé gauche. Ça comprendrait La France Insoumise (LFI), mais aussi le Parti prétendument Socialiste, le Parti non-Communiste Français de Fabien Roussel et le parti qui prétend incarner l'écologie mais sans conflictualité de classe. Mais admettons, même si on n'est pas d'accord, tout comme pour la restriction de l'extrême-droite au Rassemblement National (RN) et à Reconquête.

Un nouveau front politicien proclamé populaire a été initié avec la majeure partie des gauches ou des prétendument gauches. Jusque là, ce n'est que de la tambouille politicienne et électorale, certes sous fond de fascisation et de percée nette de l'extrême-droite reconnue et qui pourrait maintenant faire main basse sur l'assemblée nationale de la 5e république bourgeoise de France.

L'extrême-droite étant un adversaire particulièrement dangereux pour les travailleurs et travailleuses, y compris pour leurs organisations, certaines de ces dernières flippent avec cet événement, qui n'est pour nous qu'une sinistre continuité. Cela en a mené certaines et ça en amènera d'autres avec le temps à rompre ouvertenement avec l'indépendance vis-à-vis du politicien. Certaines n'appelent pas simplement à ne pas voter pour l'extrême-droite, certaines en sont venus, et d'autres y viendront, à appeler à voter pour le nouveau front politicien qui se proclame populaire et serait de gauche.

Mais elles ne contrôlent pas les partis de la coalition. De plus, elles répandent l'idée qu'on pourrait attendre du système parlementarisme en système capitaliste en fuite fasciste qu'il pourrait s'opposer au fascisme, tout en risquant le discrédit par affiliation. Enfin, cette prise de position politicienne et décidée en toute hâte, qui est bien différente d'un simple appel au refus de l'extrême-droite, ré-introduit le poison de la division politicienne dans l'organisation de classe qui devrait être unitaire.

Nous pensons donc que les organisations syndicales devraient s'en tenir au respect de l'indépendance vis-à-vis des partis politiques et des sectes, comme le stipule la Charte d'Amiens de 1906. Elles devraient se contenter de préparer la riposte et l'offensive par les moyens autonomes de la classe. La Confédération Générale du Travail (CGT) a publié le 11 juin 2024 Face à l'extrême droite, le front populaire ! Le titre a indéniablement un goût électoraliste, mais le contenu en est clairement critique et appelle nettement la classe à se préparer à lutter par ses propres moyens.

Mais sous la pression de la base, le Bureau Confédéral (BC) de la CGT pourrait être amené à se déplacer dans un sens électoraliste. Pour nous, ce serait une erreur. Mais la culture syndicale est faible et a été en bonne partie subsituée par la culture étatico-citoyenniste de gauche, ce ne serait donc malheureusement pas surprenant. L'électorisme déjà affirmé de certaines structures syndicales pour ce front politicien allégrement qualifié de gauche montre bien qu'il y a un potentiel à son extension. Comme avec toute situation exceptionelle, des digues sautent et sauteront, caractérisant l'exceptionnalité de la situation, mais les réquisits de la situation ne devraient pas sur le principe conduire à faire en voler en éclats certaines digues, quoi que c'est tout à fait compréhensible au vue de la tension de la situation et de la parfois faiblesse des structures qui y sont plongées.

Post-scriptum : Suite à une décision de CCN (Comité Confédéral National), le 19 juin 2024, la CGT déclare La CGT appelle les salarié·e·s, retraité·e·s et privé·e·s d'emploi à aller voter le plus nombreux et nombreuses possible les 30 juin et 7 juillet pour le programme du Nouveau Front Populaire. Elle n'appelle pas directement à voter NFP, mais son programme, subtile différence de forme pour ne pas cautionner les partis la formant, mais qui en pratique en revient au même. Pourtant la majorité des partis du NFP n'est assurément pas prête à s'affronter au Capital, sans même parler du PS qui s'est clairement montré comme un adversaire de classe lors de la présidence de François Hollande (2012-2017) qui est d'ailleurs investi candidat par le NFP et qui a été le tremplin pour le détesté Emmanuel Macron. Cet appel d'en haut aura probablement bien peu d'effet sur le vote, mais il risque fort de diviser la base existante et de braquer de potentiel·le·s adhérant·e·s. C'est justifié pour faire barrage à l'extrême-droite, mais elle n'a jamais été vaincue par les urnes et l'appel à la mobilisation syndicale est cette fois bien moins forte mais heureusement toujours tout de même présente.

En rapport avec le sujet

Mentionnons les textes suivants des Comités Syndicalistes Révolutionnaires :

  1. Mais si, Jean-Luc [Mélenchon], la Charte d'Amiens [de 1906], c'est vachement bien ! , site web, probablement aux alentours de 2017
  2. [Emmanuel] Macron, [Marine] Le Pen, [Jean-Luc] Mélenchon et… NOUS ! , site web, juin 2022
  3. L'indépendance syndicale, base de l'autonomie ouvrière , brochure, collection stratégie syndicale, 2011 [1997]